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Timothé Le Boucher: Ces jours qui disparaissent (Hardcover, GLENAT) 5 stars

Review of 'Ces jours qui disparaissent' on 'Goodreads'

5 stars

BD très touchante qui m'a chamboulé. On suit un jeune homme, Lubin, acrobate qui se retrouve à devoir partager son corps avec une autre personnalité plus pragmatique qui vit à sa place un jour sur deux... Le Lubin acrobate voit ainsi sa vie disparaître petit à petit, ses rêves détruits au fil des jours, de plus en plus remplacé par son double qui prend le dessus. La narration est extrêmement bien tissée, le fait de ne suivre l'histoire que du point de vue du Lubin acrobate ne la rend que plus tragique et touchante. C'est la disparition d'un soi rêveur, créatif, enthousiaste par un soi plus pragmatique, calculateur, qui ferait un travail plus utile pour la société... Une question est donc posée sur qui est le véritable parasite, que ce soit du point de vue du corps de Lubin, ou bien à l'échelle de la société. Sortir des normes sociales et proposer des services artistiques et culturels, est-ce vraiment vivre en parasite de la société, à une époque où l'on n'a jamais autant consommé de médias culturels?...

SPOIL : La scène qui m'a certainement le plus marqué est celle où le Lubin acrobate rencontre l'hypno-thérapeute de l'autre Lubin, et comprend que c'est à cause de lui qu'il a commencé à perdre de plus en plus de jours dans son corps : la justification du thérapeute est sans appel, l'autre Lubin est le vrai, et il est dans tous les cas beaucoup plus utile à la société que lui...
Un autre passage m'a marqué par le sentiment aigre-doux qu'on ressent, lorsqu'il retrouve sa bien aimée Tamara à la fin de l'histoire et qu'il pense se réveiller le lendemain avec elle alors qu'il n'est en fait que coincé dans une réalité virtuelle... C'est à la fois beau d'accorder à ce personnage des derniers moments de bonheur, mais aussi assez cruel pour le lecteur de découvrir que ce n'est qu'un artifice et que c'est finalement l'autre Lubin qui a totalement réussi à gagner son corps pour tout le reste de sa vie...

Le dessin est très beau, on se rapproche de la ligne claire classique de la BD franco-belge avec ses couleurs pastel. La construction des vignettes est très efficace, et permet de rendre compte des grandes ellipses de temps entre les réveils de Lubin. Les deux Lubins qui ne peuvent communiquer que par l'intermédiaire d'un écran n'apparaissent ainsi jamais dans la même case, et se répondent plutôt d'une case à l'autre. La différenciation entre eux est très subtile mais efficace. Le Lubin acrobate a des cheveux plus ébouriffés qui révèlent son caractère plus impulsif, créatif et bon vivant, tandis que l'autre est toujours soigneusement coiffé ce qui n'est pas sans rappeler son obsession pour l'ordre et l'organisation. L'utilisation de la couleur jaune pour les bulles de l'autre Lubin permet aussi de suggérer sa manière différente de parler du Lubin acrobate, mais aussi de tous les autres personnages de la BD puisqu'il est bien le seul à posséder sa propre couleur de bulle autre que le blanc.